Q. : Depuis combien de temps êtes-vous membre de WILPF, et quelles sont les raisons qui vous ont amenées à rejoindre le mouvement ?
R. : J’ai découvert WILPF et son travail il y a dix ans au Forum de l’AWID, qui se tenait à Istanbul, en Turquie. À cette occasion, j’ai visité les stands de l’organisation et j’ai participé à des ateliers qu’elle proposait. J’ai été très impressionnée par le travail que menait WILPF aux quatre coins du monde pour promouvoir la paix.
J’ai été particulièrement intriguée par les recherches de pointe réalisées par l’organisation et les données fournies dans de nombreux domaines : les actions et les besoins en matière de prévention de conflit et de consolidation de la paix, le militarisme, les opérations de maintien de la paix et les dépenses militaires des différents pays. Ces dernières étaient le plus souvent disproportionnées par rapport aux efforts fournis pour promouvoir les droits humains, et notamment les droits des femmes.
J’ai alors pu établir un lien évident entre les droits des femmes et la prolifération des armes, et j’ai été choquée de constater que des pays étaient capables de voter des budgets colossaux pour l’achat d’armes au détriment d’autres secteurs sociaux fondamentaux tels que l’éducation, la santé et l’égalité des genres, qui sont essentiels pour promouvoir la cause des femmes.
Connaissant la situation de mon pays, le Cameroun, qui était déjà touché par des conflits avec les pays voisins, j’ai ressenti l’obligation morale de veiller à ce que les femmes camerounaises s’investissent davantage dans cette quête mondiale pour la justice sociale. C’est ainsi que WILPF Cameroun a vu le jour en janvier 2014.
Q. : Quelles sont vos principales attentes en tant que nouvelle présidente de l’organisation ?
R. : Mon expérience de fondatrice et de présidente de section, de représentante régionale et de membre du Conseil international de WILPF m’a permis d’acquérir une très bonne connaissance de l’organisation et de la façon dont elle fonctionne. À présent que ses membres m’ont accordé leur confiance et m’ont permis de diriger l’organisation pendant les trois années à venir en me nommant présidente, je souhaite apporter ma modeste contribution au développement de WILPF.
J’ai le vif désir de voir les membres de l’organisation renouer avec les ambitions de nos mères fondatrices telles qu’elles sont inscrites dans le Manifeste. Nous apprenons toutes les unes des autres au sein d’un espace ouvert et inclusif qui nous permet d’expérimenter, d’échanger et d’apprendre ensemble. Je souhaite que nous nous engagions toutes à défendre nos valeurs féministes et à agir pour remettre en cause les systèmes et les structures d’oppression, promouvoir des solutions inclusives et pacifiques aux conflits et renforcer plus que jamais l’activisme féministe pour la paix. En outre, j’espère sincèrement qu’une confiance nouvelle s’établira entre nos membres, que nous vaincrons les obstacles qui freinent notre action et renforcerons les instruments qui la font avancer, et que nous chercherons les moyens les plus sûrs et efficaces de travailler ensemble à l’avenir.
Je consacrerai également mon énergie à renforcer la participation et la visibilité des jeunes. Je tiens vraiment à promouvoir les liens intergénérationnels entre nos jeunes membres et celles d’entre nous qui sont plus âgées afin de garantir la continuité de notre action et de défendre nos valeurs culturelles.
Q. : Que signifie pour vous le terme de paix féministe ?
R. : La paix féministe consiste à respecter ce principe des Nations unies : « Personne ne doit être laissé pour compte ». Cela nécessite d’examiner les facteurs et les causes profondes des conflits et d’identifier les lignes de fracture des processus de paix, notamment en ayant recours à l’analyse de conflit sensible au genre.
Pour cela, nous devons agir à tous les niveaux, du local à l’international, en tirant parti des atouts de chaque personne. Il faut créer les conditions de la paix en coopérant avec les féministes qui travaillent sur le terrain ainsi qu’avec les groupes les plus marginalisés et les élites. Dans les communautés, au cœur des actions de consolidation de la paix, je vois des activistes de la base, des féministes, des femmes de la société civile et bien d’autres qui se mobilisent pour promouvoir l’inclusion et la participation réelle des femmes dans les processus de prévention de conflit et de consolidation de la paix. Voilà ce qu’est, pour moi, la paix féministe.
À mes yeux, l’approche féministe de la paix consiste à agir en s’appuyant sur les connaissances et les expériences des femmes, des hommes, des filles et des garçons qui révèlent de façon explicite les structures et les relations de pouvoir discriminatoires et genrées dont l’effet dévastateur est souvent poussé à l’extrême lorsque la paix est menacée. Par exemple, bâtir la paix exige d’adopter une perspective de genre afin de tirer parti des expériences vécues et des contributions de toutes les personnes vivant dans des situations de conflit.
Les principes fondamentaux du féminisme sont notamment l’inclusion, la responsabilité, la collaboration, la nécessité de prendre soin de soi et des autres, la remise en cause des systèmes et des structures d’oppression, la remise en cause du système patriarcal d’oppression et la volonté de rechercher une réponse globale aux conflits.
Q. : Selon vous, à quelle difficulté majeure le mouvement féministe pour la paix est-il confronté aujourd’hui ?
R. : À mes yeux, la plus grande difficulté réside dans le fait que cette approche inclusive et globale, pourtant essentielle, n’est pas suffisamment, voire pas du tout, mise en œuvre dans les processus de consolidation de la paix. L’environnement dans lequel nous travaillons est encore très patriarcal, et un long chemin reste à parcourir en matière d’inclusion. En outre, de nombreuses femmes ou groupes sont laissés pour compte et ignorent le rôle qu’ils peuvent jouer dans ces processus, ne savent pas comment y prendre part et ont des besoins vitaux qui ne sont pas couverts, tels que l’accès à des services de base.
Q. : Que diriez-vous aux activistes féministes pour la paix et à leurs allié-e-s pour les convaincre de rejoindre WILPF ?
R. : WILPF est une organisation féministe qui regroupe des activistes de base. Elle est connue pour son caractère inclusif et sa capacité à résoudre les conflits en s’attaquant à leurs causes profondes. C’est un mouvement bien structuré, qui a un siècle d’existence. Il est composé de sections et groupes nationaux, qui associent les communautés locales et les protagonistes clés à leur lutte pour la paix et la justice sociale.
Cette approche ascendante nous permet de faire entendre les voix des plus vulnérables afin qu’elles soient prises en compte au niveau décisionnel, grâce à des campagnes de plaidoyer et à un réseau de partenaires issus de différents horizons.
WILPF est une organisation de premier plan, dotée d’une stratégie qui a fait ses preuves, et elle doit être soutenue dans ses efforts. Nous encourageons donc vivement toutes les activistes pacifistes féministes et leurs allié-e-s à rejoindre notre mouvement afin que nous puissions contribuer, ensemble, à bâtir un monde plus juste.